La politique en silos : le danger

Publié le par Vincent

L’atteinte ou non des objectifs établis au niveau national dans une stratégie de lutte contre le sansabrisme est déterminée par un jeu complexe de responsabilités, de ressources, d’organisation et de pratiques au niveau local, jeu comptant également le contexte structurel de la disponibilité de logements abordables. Tous les secteurs de l’action sociale publique doivent être inclus dans une approche intégrée : le secteur du logement, de la santé, des migrations, de l’éducation, de l’emploi, de l’inclusion sociale, de l’aménagement du territoire, de la justice… Il s’avère particulièrement complexe de mettre en place une stratégie, si intégrée soitelle, dans des contextes où le marché du logement locatif privé est de plus en plus onéreux et de plus en plus volatile, et où le logement abordable d’intérêt public, soit n’existe pas, soit se résidualise. En Irlande, malgré une conceptualisation ambitieuse, concrète et chiffrée de la stratégie nationale de lutte contre le sans-abrisme couplée à une stratégie de production de logements abordables, les résultats se font attendre étant donné l’état du marché immobilier suite à la crise de 2008, la construction neuve, en particulier de logements sociaux, étant quasiment à l’arrêt. Dans le même temps, la gestion de l’urgence de la crise du sansabrisme, qui concerne en particulier les familles avec enfants, incite les décideurs politiques à prendre des initiatives de court-terme : les family hubs, anciens hôtels transformés en hébergement temporaire pour les familles sans-domicile, ont provoqué le débat au sein du secteur associatif irlandais. Si les perspectives d’amélioration de l’hébergement des familles sans-domicile sont toujours bienvenues, l’absence de solutions pérennes et d’une stratégie ciblée pour sortir les familles du sans-abrisme sur le long-terme sont pointées du doigt. Sans elles, les seules interventions de court-terme risquent de normaliser les chiffres trop élevés de familles sans-domicile. En Angleterre, la fin d’un contrat locatif privé est devenue la première cause de sans-abrisme statutaire. Le nombre de ménages enregistrés en tant que sans-domicile à la suite de la fin d’un contrat locatif de court-terme (assured shorthold tenancy) a triplé depuis 2010-2011. La proportion de ces ménages (sur le nombre total de ménages enregistrés par les autorités locales en tant que sans-domicile) est passée de 11 % en 2009-2010 à 32 % en 2016-2017. A Londres, cette proportion est passée de 10 % à 39 % sur la même période. En Angleterre, la fin d’un tel contrat locatif privé de court-terme représente 74  % de l’augmentation du nombre de ménages en hébergement temporaire depuis 2009-2010. Auparavant, les principales causes du sans-abrisme étaient autres : ruptures familiales, paupérisation des parents qui ne pouvaient ou ne voulaient plus héberger leurs enfants, etc. Selon le rapport de 2017 du Bureau National d’Audit, le caractère inabordable des prix du logement est un facteur d’augmentation du sans-abrisme en Angleterre. Depuis 2010, les prix du logement locatif privé ont augmenté trois fois plus vite que les revenus, et huit fois plus vite à Londres, les locations privées augmentant de 24 % et les revenus moyens de 3 %. Le nombre de personnes sans-abri est plus élevé là où les prix de la location privée se sont accrus le plus depuis 2012-2013. En parallèle, la réduction des allocations logement et les réformes de la protection sociale ont fortement impacté la capacité des ménages à payer leur loyer : l’érosion des politiques offrant un filet de sécurité en matière de logement peut donc assurément conduire à l’augmentation du sans-abrisme. En France, certaines décisions récentes font planer le doute sur la volonté politique du gouvernement français de mettre en œuvre une politique intégrée de lutte contre la privation de domicile : la réduction des allocations logement, qui a pour conséquence l'appauvrissement des organismes de logement social et donc la baisse prévisible de leur capacité à rénover les logements et à en produire de nouveaux, fait écho aux dispositions prises par l’Angleterre en 2011 et qui ont été épinglées dans le rapport 2017 du Bureau National d’Audit britannique comme étant une des causes d’augmentation du sans-abrisme.

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